COVID-19 faut-il craindre le risque de pénurie ?
Ou ce que nous apprend un virus de quelques centièmes de micron sur la faiblesse de notre économie mondialisée.Au-delà de la crise sanitaire, le COVID 19 nous expose à une crise économique majeure. Une des raisons qui inquiète les entreprises Françaises et européennes est le risque de rupture d’approvisionnement. Regardons cela en détail.
Notre dépendance à la Chine
Nos économies occidentales sont très dépendantes de la Chine d’un point de vue industriel. En effet cette dernière concentre près de 30 % de la production manufacturière mondiale. Les secteurs les plus sensibles sont l’électronique et l’informatique, la pharma, l’automobile (où les chaînes d’approvisionnement sont très complexes) mais aussi le textile, …
De façon plus anodine un secteur comme l’ameublement (canapés, meubles…) est également sous forte dépendance de la Chine même s’il est moins stratégique que les précédents.
Selon une enquête menée par le Syndicat National de Sous Traitance Electronique (Snese) la Chine monopoliserait 80% de la productionmondiale de circuits imprimés. Or on en retrouve dans ABSOLUMENT tous les produits électroniques, les fermetures d’usines à cause de la pandémie mettent à mal l’économie de ce secteur.
Quel impact sur nos entreprises à court terme ?
La chaîne d’approvisionnement (Supply Chain en Anglais) regroupe l’ensemble des activités (nous parlerons de maillons) qui permettent d’amener un produit et/ou ses composants d’un point A à un point B, du fournisseur au client.
Avec l’économie mondialisée on dit que la supply chain est la colonne vertébrale de l’économie. En effet, même si de nombreux produits restent fabriqués en Europe, ils sont en fait assemblés en Europe à partir de composants qui viennent du monde entier, dont une partie de chine.
L’Europe va-t-elle être en rupture ?
Oui, très certainement d’ici Avril.
Comme chaque année la Chine a fermé ses usines pour 2 à 3 semaine en Février, pour cause de nouvel an Chinois. Les importateurs européens ont l’habitude et comme chaque année ils ont constitué des stocks pour anticiper cet événement qui met le pays à l’arrêt. Mais avec le risque de propagation du virus et les mesures de confinement les entreprises Chinoises ont fait face à des pénuries de personnel et n’ont pas pu reprendre le travail après le nouvel an chinois. Depuis fin février les usines tournent au ralenti, incapables de satisfaire la demande et de livrer les clients.
Mais avec 6 semaines de délais d’acheminement (c’est le temps moyen que met un container pour transiter par la mer de la Chine vers l’Europe), les marchandises expédiées AVANT le nouvel an chinois sont à peine en train d’arriver en Europe. Les grossistes et détaillants disposant encore de stock fraîchement livré, ils sont encore en mesure de satisfaire la demande du marché européen pendant quelques semaines. Mais en l’absence de nouvelles livraisons (rares sont les containers qui ont pris la mer depuis le mois de février) le risque d’une rupture d’approvisionnement est imminent.
Dans les semaines qui viennent la plupart des industriels Européens vont écouler leur stock de composants et continuer d’honorer leurs commandes clients, mais pour certains secteurs cela pourrait être plus compliqué. C’est le cas de l’ameublement par exemple ou du mobilier de bureaux. De nombreuses entreprises ne sont plus en mesure de garantir à leur client des délais de livraison. Leur capacité à honorer les commandes dépend des arrivages de matière première ou de composants.
Nous envisageons donc, à des échéances différentes, une situation majeure de rupture de chaines d’approvisionnement dans le secteur industriel.
Ces éléments sont à nuancer car les impacts sanitaires du virus viennent ralentir la consommation et donc la demande. Les démarches de confinement des salariés atteints par le Coronavirus vont aussi ralentir le fonctionnement des entreprises et pourraient limiter l’impact global de la pénurie.
Faut-il se constituer un stock de denrées alimentaires en prévision ?
NON, Ce qui est vrai pour les composants électroniques et les produits industriels n’est pas vrai pour nos denrées alimentaires. En effet ces produits sont pour la plupart fabriqués en France et en Europe, même avec le stade 3 de la pandémie et le pays en confinement (comme l’a été la Chine), nous mettrions des mois avant de ressentir les pénuries sur ces produits. Sauf si tous les consommateurs achètent en masse ces produits, font des stocks et enrayent la machine…
On appelle cela l’effet coup de fouet (le fameux Bullwhip Effect). Le Bullwhip Effect c’est l’amplification d’un petit mouvement à l’un des bouts de la chaine (les clients) qui se transforme en une grosse variation à l’autre bout (la production).
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La théorie du Bullwhip Effect
Il est lié au fait que chaque maillon d’une chaîne logistique a besoin d’un niveau de stock élevé pour anticiper au maximum l’incertitude de la demande et ainsi éviter des ruptures de stock. Cette variabilité de la demande va produire d’importantes fluctuations au niveau des commandes des différents maillons de la chaîne logistique.
Ce phénomène engendre donc un niveau de stock élevé et excessif à tous les niveaux d’une supply chain ainsi qu‘un mauvais niveau de service ce qui à terme, affectera la rentabilité de l’entreprise. Les raisons de cette variabilité de la demande sont diverses. Les plus communes restent le manque de communication entre les différents acteurs et le non-partage de l’information donc de la prise de décisions sur la base d’informations erronées et/ou incomplètes.
En voici une explication humoristique : https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=NS4mdtoxCy4
Un autre phénomène se produit également en période de crise de l’offre, comme nous la connaissons actuellement, c’est la théorie développée par Yossi Sheffi professeur au MIT. Les vendeurs passent des « ordres fantômes ». Ils génèrent des commandent à tous leurs fournisseurs à des niveaux supérieurs à leur besoin. Imaginant ainsi être livré d’une partie de chaque ordre. Ceci crée une désorganisation globale de la Supply Chain avec des à-coups de demande chez les producteurs. Au final les vendeurs se retrouveront avec des niveaux de couverture de stock bien supérieurs à leur besoin lorsque la situation sera revenue à la normale, simplement parce qu’ils ne pourront pas annuler les commandes en excédents.
Dans notre cas, les distributeurs/grossistes voient leurs ventes exploser (puisque certains magasins sont pris d’assaut). Pour faire face à la demande ils souhaitent donc augmenter leurs stocks et envoient un afflux de commandes aux producteurs. Mais n’ayant pas prévu cette augmentation de la demande le producteur ne dispose pas des stocks de matière première suffisants pour produire et il ne peut pas honorer les commandes.
Le producteur commande donc en grosse quantité de la matière première, charge son usine afin de produire ces nouveaux besoins émis … et pendant ce temps là les grossistes et distributeurs ont tendance à continuer à commander en grande quantité.
Lorsque l’autre bout de la chaîne la frénésie de consommation se calme, les commandes passées par tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement ne peuvent plus être annulées ! Elles seront donc produites, livrées et stockées … le temps d’écouler toute cette marchandise.
Pendant ce temps ils ne passent plus de commande à leurs fournisseurs, qui après une période de frénésie de production se retrouvent avec un creux de demande, mais des frais fixes à payer (salaires, usines, …) donc une situation financière difficile à gérer.
C’est donc le consommateur, en augmentant son panier moyen de 50% afin de faire du stock de denrée alimentaire … qui crée la situation de pénurie. Ces à-coups de consommation créent un effet coup de fouet qui peut déstabiliser les prévisions faites par les entreprises et impacter la chaîne d’approvisionnement.
Notre dépendance industrielle aux produits Made in China
Alors pourquoi nos économies ont-elles externalisées en Chine une partie importante de leur chaîne de valeur ? Les raisons sont multiples.
Prenons les médicaments, on trouve 80 à 85 % de principes actifs chinois dans le paracétamol et la pénicilline. La dernière usine européenne de paracétamol a fermé en 2008 à Roussillon. Dans ce cas précis, les industriels ont délocalisé la production afin de se rapprocher des fournisseurs de matières première (les principes actifs), mais aussi pour bénéficier d’une main d’œuvre bon marché et pléthorique et s’affranchir de coûteuses normes environnementales…
Le textile et l’habillement faisaient partie des tous premiers secteurs ayant été relocalisés en Chine lors de la forte diminution des droits de douane par l’Europe dans les années 1990. Les fameux TSHIRT à 1€ ne pouvaient que mettre à mal une industrie européenne dont les niveaux de coûts de la main d’œuvre étaient sans commune mesure avec ceux de la Chine. Revers de l’histoire ou stratégie de montée en gamme, la Chine désormais externalise elle aussi la fabrication de ces produits dans les pays périphériques (exemple le Vietnam) car la main d’œuvre y est moins chère …
Au-delà de ces circuits, ce sont également les choix de conception qui orientent le lieu de production. Prenons Apple, ses produits sont en parti assemblés avec de minuscules visses dont la mise en place n’est à priori pas méconnaissable. C’est donc en Chine qu’il peut trouver les « petites mains » pour assembler ses iphone, ipad et consorts. Samsung a fait le choix de coller la plupart des éléments de ces smartphones ce qui rend l’automatisation de l’assemblage plus aisé. Ce choix leur a permis de ne plus produire aucun téléphone en Chine.
La Chine a de surcroît constitué un monopole sur les terres rares. Il y en a de partout, du pot catalytique de votre voiture en passant par votre smartphone et la batterie de votre voiture électrique. L’immensité de son territoire lui donne accès à de nombreuses matières premières qu’elle propose au départ à prix cassé afin de réduire l’intensité concurrentielle pour ensuite les remonter lorsque cette dernière lui est favorable. Voir notre article sur le sujet. https://formation-achats.fr/processus-achats/le-marche-des-metaux-rares/
En synthèse Pourquoi la chine est-elle devenue l’usine du monde ?
- Une main d’œuvre abondante et pas chère (c’est de moins en moins le cas)
- Des matières premières accessibles
- Des moyens de productions mutualisés entre les donneurs d’ordre (nous y revenons plus loin)
- La réactivité dans la conception et la production
- La qualité, et oui, qu’ont en commun les iphones les canapés Ligne Roset ? Ce sont des produits de qualité, fabriqués en Chine.
Quels enseignements tirer de la situation
Pour l'économiste Christian Saint Etienne, cette crise doit enclencher une réflexion sur notre dépendance à l'industrie chinoise. "Je pense que les entreprises doivent inclure des exigences de diversification des sources d’approvisionnement parce que ces ruptures vont se multiplier", précise l'économiste. "C’est un nouvel avertissement, mais il faut espérer que cette fois il sera entendu et compris."
L’idéal serait de trouver pour chaque source asiatique d’approvisionnement une alternative équivalente en Europe. C’est aux donneurs d’ordre de faire cet exercice, car les sous-traitants, ne font qu’acheter les composants qu’ils ont choisis. Les secteurs de l’aérospatiale et militaire l’ont déjà fait. Aux industriels des autres secteurs de le faire aussi : la balle est dans le camp des donneurs d’ordre.
Cela dit chercher un fournisseur alternatif nécessite du temps et entraîne des coûts supplémentaires. Dans l’automobile, cela peut prendre plus d’un an pour des outillages. Pour une pièce d’avion, il faut quatre ans pour qu’elle soit qualifiée… Pour d’autres secteurs, comme l’habillement, c’est beaucoup plus rapide. On peut facilement faire fabriquer de petites séries, mais c’est plus cher. Mais de nouvelles tendances apparaissent vers une chaine d’approvisionnement locale et maitrisée. C’est le cas du teeshirt à 24€ de democratee, ou de jeanfil qui produit des polo fait à 100% en France (du coton récolé dans le Gers, au tissage dans les Vosges).
Autre idée, intégrer le prix de la tonne de carbone dans une production, ainsi cela pourrait devenir rationnel de produire près de chez soi. Cela doit se décider au niveau Européen pour plus d’efficacité. La Commission européenne a d’ailleurs un projet de mécanisme d’inclusion carbone. Cela figure dans le « green deal » d’Ursula Van der Leyen qui s’est engagée à faire des propositions dans l’année.
D’une façon plus pratique, l’initiative de Sanofi de créer un leader européen des principes actifs doit aller à son terme, cela lui permettrait de créer un fournisseur local en mesure de satisfaire sa demande. D’autres industriels pourraient rejoindre ce projet et contribueraient à relocaliser sur le territoire européen la production de ces principes.
N’oublions pas que la force des entreprises Chinoises est également d’avoir des usines multi clients. Prenons l’exemple des meubles, une usine va produire pour Ligne Roset, But, IKEA, ... Et c’est la même démarche dans les usines de smartphone, automobile ou d’ordinateurs. Si nous faisions de même en Europe nous pourrions probablement améliorer notre productivité coût tout en améliorant les lead time (délais de mise à disposition à réception de commande).
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La réglementation aussi doit jouer son rôle comme par exemple la nouvelle obligation faite aux groupes de pharma de créer des stocks en France.
Un article de Bank of America de 2019 décrivait une tendance/réflexion de fond amorcée quant au repositionnement de certains maillons de la Supply Chain dans les marchés de consommation. Cependant, cette tendance est plutôt nord-américaine car 83% des entreprises européennes interrogées annonçaient n’avoir aucun plan dans ce sens.
Les éléments de justifications mis en avant dans l’article Bank of America de 2019 étaient :
- La hausse des tarifs douaniers
- L’augmentation du coût du travail en Chine
- La réduction de l’empreinte carbone
- Le rapprochement de la production de la consommation afin de gagner en réactivité (en agilité pour être à la mode !)
Afin d’absorber une partie des surcoûts de la relocalisation les entreprises US mettaient en avant l’automatisation et la mécanisation.
Cependant, Il y aurait un obstacle de taille concernant le coût, comme l’explique Richard Crétier (Délégué Général du SNESE) "Les donneurs d’ordre doivent cesser de réclamer une baisse des coûts à leurs sous-traitants. C’est cette course aux prix les plus bas qui nous a conduits dans la situation actuelle de dépendance vis-à-vis de Chine. Nous devons profiter de cette crise pour réfléchir ensemble sur la façon de redonner à la France son indépendance."
Si le coût est encore un élément structurant du choix de la Chine comme pays de production ce n’est pas le seul. Comme nous l’avons vu plus haut dans l’article, les chinois ont acquis un savoir-faire qui les rends incontournables sur certaines techno (les batteries).
Mais rien n’est perdu, il faudrait juste faire preuve de pragmatisme et nous ouvrir à de nouveaux modes d’achats.