Interview d'une experte de la gestion de crise
Marine Menier
Fondatrice et formatrice
GET READY
Marine est consultante et formatrice en sécurité et en sûreté. Après 8 ans d'expérience dans des ONG et au ministère des affaires étrangères elle s'est spécialisée en gestion de risques. Travaillant pour des associations françaises et internationales, elle audite leur organisation, leurs procédures et forme des équipes projets. Son thème de prédilection, la gestion de risques de personnel dans des zones à risques.
Après avoir lu notre méthodologie de gestion des risques, elle a accepté notre invitation pour donner son point de vue d’experte des crises.
La gestion des risques c'est important, pour une organisation qui envoie chaque année des centaines voire des milliers de personnes en missino dans des zones à risques ou en conflits. "Ces associations en ont fait une priorité, elles ont donc une démarche d'analyse qui est mature et éprouvée. Elles s'intéressent à
- La sécurité des biens,
- A l'impact d'un événement sur la réputation et l'image de l'association
- Mais avant tout notre approche est centrée sur la sécurité des personnes et d’éventuels dommages physiques ou psychologiques"
Petit rappel théorique, car cette notion est peu utilisée en supply chain :
- Sécurité : risque non intentionnel, par exemple un accident de voiture
- Sûreté : risque avec ntention de nuire, par exemple un car jacking (vol de voiture avec violence)
"Pour nous l’analyse des risques c'est une méthodologie très similaire à la vôtre + un manuel de gestion avec des SOP (Standard Operating Procedure) pour que le personnel détaché sur un site sache comment réagir face à une situation (communication, gestion des stocks, procédure d'évacuation médicale...) Cees procédures sont adaptées à chaque situation et alimentées par le retour d'expérience des incidents remontés par le train.
Il y a enfin de plan de contingence, si les solutions A B C n’ont pas marché : évacuation, hibernation, relocalisation des équipes...»
Les analyses des risques sont menées de manières très similaire : elles sont réalisées par le terrain puis transférées au siège pour relecture et consolidation de l'ensemble des bases pour tous les pays.
"De la même manière que votre méthodologie, on y liste des menaces (c'est-à-dire des événements potentiels, qui ne vont pas forcément se réaliser). On essaye d'affiner au maximum la connaissance de la menace, par exemple si on parle de cambriolage : où est-ce qu'ils ont lieu, à quel moment de la journée, sur quelle période de l'année...
Puis on analyse la vulnérabilité de l'organisation ou de la mission, à l'aide d'un SWOT : quelles sont nos forces et faiblesses vis-à-vis de ces menaces (par exemple, est-ce que les français sont une cible privilégiée sur zone).
VULNÉRABILITÉ + exposition à une MENACE = RISQUE
Alors qu'une menace est générique et applicable à toutes les situations, elle ne devient un risque que dans un environnement particulier, c'est à dire quand il y a vulnérabilité localement. "C'est pour cela qu'il est essentiel pour nous de connaitre le contexte local. Nous avons développé différents moyens de récupérer des informations : le développement du relationnel avec les populations locales qui nous informent des risques d'attaques, de cambriolages... nous nous appuyons aussi sur le projet SIM, au niveau international, qui permet à tous les acteurs de partager des incidents.
Par exemple une menace identifiée qui ciblerait les staffs de nationalité américaine. Si nous n'avons personne de cette nationalité sur zone, on en conclut qu'il n'y a pas de risque pour le projet. "
Ensuite on calcule la criticité en multipliant la probabilité par l'impact (principalement humain). ce sont deux notes sur 5 points qui donnent un total sur 25.
« Je suis très impressionné par vos matrices d’aide à la décision. Elles sont pertinentes car chaque personne selon son histoire, son expérience a une connaissance et une perception différente du risque. Nous utilisons des ateliers collaboratifs avec les équipes pour définir cette criticité, malheureusement les analyses sont souvent finalisées par une seule personne, donc moins représentatives.
Or c’est compliqué de définir une probabilité, et ce n‘est pas parce que cela ne s’est jamais produit que cela ne se produira pas dans le futur !
Idem pour l’impact, où la question éthique vient s’ajouter aux critères purement financiers ou opérationnels. Par exemple c’est difficile d’assumer que l’impact d’un décès n’est pas le même s’il s’agit d’un sous-traitant local ou d’un staff. En général on utilise les 3 angles : impact sur les biens, sur la réputation et sur le personnel. Mais même si les biens sont indispensables au déroulement des opérations, la priorité sera donnée à la sécurité des personnes.»
Au niveau du siège on définit un niveau de risque acceptable et le projet doit se trouver en dessous de la courbe, sinon on ne part pas sur site ou on annule le projet.
Ces analyses sont revues régulièrement pour être actuelles. On défini ensuite un plan d’action.
« On devrait clairement utiliser votre méthode ERTA. En sécurité des personnes le risque zéro n’existe pas, ça serait mentir aux équipes de leur faire croire cela. On se concentre donc sur la réduction des risques, bien souvent par le transfert vers des partenaires locaux. »
Pour les associations humanitaires il n’y a pas à chercher la résilience comme en supply chain. Une fois le plan d’action traité on essaye d’atténuer le risque via 3 stratégies !
- L’acceptation, sous-entendu comment se faire accepter sur place pour limiter le risque. « On s’intègre au panorama local, on tisse des liens, pour se prémunir de certains risques. C’est la stratégie prioritaire ».
- La protection, ce n’est pas priorité mais c’est tout de même nécessaire. « Par exemple mettre des barrières entre nous et la menace, qu’il s’agisse d’un mur physique, d’une caméra et les procédures qui vont avec (gestion des clés, des gardiens, …) »
- Et en fin la dissuasion, c’est-à-dire opposer une contre menace, comme menacer du retrait des opérations. Les ONG françaises ne font que très rarement appel à des gardes armés.
« On essaye d’assurer un contexte qui soit sure en transférant le risque sur les locaux pour qu’eux agissent sur la menace. Lorsque la survie d’un village dépend de la présence locale de l’ONG, tous les habitants sont mobilisés pour assurer la sécurité de la base ou fournir des informations au staff local.
Puis toute cette stratégie se décline en SOP »
Quelques exemples peut être ?
« les SOP sont des mesures pratiques de gestion au quotidien pour briefer le personnel. Par exemples quels sont les canaux VHF à utiliser en priorité, les codes à utiliser pour annoncer un déplacement, …Nous allons aussi définir quels sont les horaires de couvre-feu ou les chemins à emprunter pour rentrer à la guesthouse.
Autre exemple face à un risque d’attaque, le groupe peut hiberner entre 24h et 7 jours. Nous avons donc sur place un stock d’urgence avec des vivres et de l’eau pour tout le personnel pendant cette durée. »
Souvent le plus dure à appliquer reste le quatrième pilier, celui de la mise à jour. Comment cela se passe pour vous ?
« C’est compliqué. D’abord car il faut inciter les sites à faire remonter les incidents, puis lorsqu’une procédure est mise à jour elle est à déployer sur les 60 missions concernées, un vrai casse-tête pour nous humanitaires. Et puisque les contextes sont très volatiles, il faut être réactifs dans l’adaptation. Le risque ‘est que le temps que les procédures soient mises à jour et implémentées elles soient déjà obsolètes !
FLEXIBILITÉ et agilité
Nous avons certainement le même problème que les entreprises, il n’y a pas un Mr Risque, c’est une responsabilité partagée. Pour rester flexibles et réactifs nous avons développé des niveaux de sécurité :
- Au Burkina Faso par exemple, actuellement en risque de niveau 1 (vert), les procédures sont mises à jour tous les ans
- En Afghanistan qui est en niveau 4 (rouge), elles sont mises à jour tous les 2 mois.
- Le niveau 5, le risque noir, entraîne la fermeture de la mission et le rapatriement de tous les staff. »
Au final, les décisions seront toujours prises par le responsable du pays, mises en vis-à-vis de l’objet de la mission. « On se pose la question, est-ce que ca vaut le coup de prendre ce risque » ?
Le mot de la fin ?
« Je dirais que l’analyse des risques est un outil d’aide à la décision et à l’anticipation, afin de fluidifier les opérations et servir le travail réalisé sur le terrain.»
Pour vous inspirer et aller plus loin :
- European Inter-agency Security Forum :
- Security Incident Information Management : Outils développés dans 4 langues
Autre fait marquant
En parallèle, Marine met maintenant à profit son expérience auprès de jeunes voyageurs avec le projet « Get ready – Préparation au voyage ».
Get ready, c’est un groupe d’experts qui accompagnent les nouveaux explorateurs par le biais de formations sur des thématiques telles que : la planification, la sécurité et la sûreté, la santé, les premiers secours, la mécanique automobile, la survie et l’interculturalité.
Pour plus d’informations : https://www.getready-preparationauvoyage.com/
Vous avez aimé cet article ?
Si vous avez aimé cet article vous pouvez le partager autour de vous ou encore lire d'autres articles sur la gestion des risques basés sur la méthodologie du cabinet de conseil F.C.A